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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 09:43

L'association " Atelier de l'Ecriture " dirigée par l'écrivaine Fabienne Jacob a proposé un concours de nouvelles basé sur l'histoire de St Amand.

 

La Municipalité (qui subventionne cette association) a demandé communication des textes avant parution. La nouvelle de mon ami JPC a donc été soumise à l'imprimatur du maire Thierry Vinçon. Depuis, plus de nouvelles de la nouvelle !

 

Il se murmure ................ qu'une telle dictature ............... est une injure ............... une forfaiture......... une souillure .......... à notre nouvelle démocratie du 6 mai.

 

Voici donc le texte, où l'on parle d'un  ami de Papon qui fut maire et auquel a succédé (sous une forme de monarchie héréditaire) son frère qui est l'actuel maire.

 

 

 

 

SIEGE DE LA MEMOIRE

 

 

 

Le vernis s’écaille sur le bois de mes accoudoirs, le métal des ressorts apparaît au travers du cuir vert de mon assise et je suis en équilibre sur l’appui d’une des fenêtres du premier étage de la mairie de Saint Amand-Montrond dans le département du Cher. Dans quelques minutes, quelques secondes, je serai poussé sans ménagement dans la benne d’un camion en stationnement dans la rue Jean Valette. Pas assez chic, démodé, abîmé, trop vieux, trop rustique, l’heure de la réforme vient de sonner.

 

On peut dire ce qu’on veut d’un fauteuil…… !.  Mais quel autre meuble que moi peut prétendre ressentir les émois, les impatiences, les troubles que me transmet sans filtre, le plus intime, le plus caché, le plus révélateur de l’âme  de l’humain qui, sur moi, vient chercher le repos ou le confort ?

 

 Et pourtant. Tout frais sorti des ateliers du meilleur ébéniste et tapissier de la ville, c’est en 1935 que je reçois le séant de celui dont j’allais partager la vie, je peux même dire la vie publique exaltante pendant les cinq plus belles années de ma jeunesse et de ses enthousiasmes.

 

Mon destin vient d’être tracé, je serai fauteuil de maire, fauteuil du maire de SaintAmand, et le premier maire à lustrer mon cuir du lainage du fond de ses pantalons, sera Robert Lazurick en 1935. De son vrai prénom Maurice. Pourquoi ce Maurice là choisit-il de se faire appeler Robert plutôt que Maurice ? D’aucuns verront peut être là un réflexe prémonitoire pour empêcher la confusion avec un célèbre homonyme que je devrai accueillir entre mes bras quelques années plus tard.

 

L’année suivante, mon premier Maurice devient député-maire. Il soutient le gouvernement de front populaire de Léon Blum. L’honneur de partager le séant d’un personnage important de la République avec le velours rouge de son siège à l’assemblée nationale me gonfle d’un nouvel orgueil. 

 

Quand tout fout le camp pour notre  pays, mon député-maire refuse le 16 juin 1940 les pleins pouvoirs au  Maréchal. Il s’embarque sur un navire, le Massilia, direction Alger pour soutenir

un gouvernement de résistance à l’envahisseur. Ce gouvernement ne voit jamais le jour et moi, je ne revois  jamais plus mon premier Maurice alias Robert. Parce qu'il est juif, il devra ensuite se cacher dans la région de Toulouse.

 

Trente ans plus tard, c’est un autre Maurice qui s’installe sur mes coussins fatigués. Ce Maurice là n’a pas de prénom de rechange, puisqu'il s'est déjà fait un nom à Constantine, à Charonne. Papon qui est déjà député, s’installe pour dix ans à la mairie de Saint Amand-Montrond.

 

En attendant, je suis toujours le fauteuil  de Monsieur le Maire dans son vaste bureau du premier étage de l’Hôtel de Ville. D’ailleurs, non content de partager l’inévitable grande intimité d’un fauteuil avec son occupant,  je partage également des moments de sa vie. Lorsqu’il séjourne à Saint Amand, délaissant les ors et les honneurs  parisiens du pouvoir pour diriger sa ville, Maurice Papon qui s'est déjà taillé une solide réputation d' économe, a fait monter un lit dans son bureau où il se fait également servir des repas dont je reçois aussi les miettes.

 

En mai 1981, mon deuxième Maurice qui est, depuis, devenu ministre, me quitte brusquement. Alors qu’il exerçe les fonctions de secrétaire général de la préfecture de Gironde, pendant la guerre, il a anticipé l’exécution des ordres d’une rafle destinée à livrer, à l’occupant nazi, plusieurs centaines de juifs qui seront déportés. Cette révélation publiée dans la presse le contraint à la discrétion. Ainsi il se fait rare à Saint Amand.

Un jeune homme s’assied timidement, du bout des fesses sur mes coussins pour un intérim de deux ans. Lui, c’est Serge, il est un de ces jeunes loups que mon deuxième Maurice a formés à ses conceptions de la politique et mis en avant pour lui succéder. Bien dans la ligne du célèbre absent, il traite  les affaires courantes jusqu’en 83.

 

Ce Serge là deviendra maire à son tour, puis sénateur-maire en 1989. Il  le restera jusqu’à sa mort en 2007, assuré d’une réélection dans son fauteuil à chaque scrutin municipal. Comme  tous ses collègues nouvellement élus, il reçoit dès son arrivée au palais du Luxembourg, un siège à ses mesures exactes. Ce faisant, la République vient de lui faire prendre des habitudes de confort et de luxe que je ne peux satisfaire et c’est de cette période que date ma relégation dans ce réduit obscur qui sent la cave et où je peux consacrer tout mon temps à méditer sur l'ingratitude des hommes et mon glorieux passé. Tous les fauteuils n’auront pas eu cette chance de partager les remugles et exhalaisons de la chimie digestive qui émanait de la tuyauterie humaine de mes occupants successifs que des raisons différentes ont rendus célèbres.

 

 Et il me vient, comme ça, à l’esprit, de ces obsédantes  interrogations aigres et dérangeantes : et si par le plus grand des hasards, les chemins des deux Maurice qui n’avaient en commun que de m’avoir partagé dans le temps, s’étaient croisés en 1943 ?

Parmi la rumeur assourdie par le mur de silence de mon obscure prison, demeurent ces tenaces questions sans réponse : quelles pouvaient être la force et la nature du lien qui fit de mon dernier locataire le témoin en faveur de mon deuxième Maurice qui comparaissait devant la cour d'assises de la Gironde pour complicité de crime contre l’humanité ?

Pourquoi Serge, dont tant d’habitants de notre bonne ville médaillée pour ses actions de la Résistance avaient fait leur idole, toujours avec eux dans la même communion de pensée, n’a pu résister à faire savoir qu'il avait fait fleurir sa tombe,  lorsque la dernière heure du condamné de Bordeaux a sonné?

  

 

Aucun de ces trois maires qui ont marqué l’histoire récente de la ville de Saint Amand n’est encore de ce monde. Ce chapitre mal refermé rejoint le livre de notre grande histoire nationale qui laisse parfois dans la mémoire collective des souvenirs amers et des regrets douloureux avec lesquels il nous faut vivre.

 Au nom de quel principe devrions-nous les taire ou nous satisfaire d’un silence qui pourrait être jugé complice ?

 

La benne de ce camion me conduira je ne sais où, sans égards pour la mémoire que je porte des postérieurs qui ont tanné mon cuir et des mains moites de ces édiles célèbres qui ont cherché un apaisement à leurs doutes et à leurs craintes, dans la caresse à mes accoudoirs. 

 

Tristesse du destin de n’être plus qu’un vieux fauteuil usagé que l’on mène à la poubelle de l’histoire.

 

 

 

 

JEAN-PIERRE CHARBONNIER   

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